La philosophie a toujours prétendu être la gardienne de la vérité. Se pourrait-il que, à notre époque, ce soit la science qui y parvienne le mieux? Entre elles, il y a manifestement, en tout cas, une concurrence féroce en vue de l'hégémonie spirituelle en matière de connaissance du réel et de recherche de la vérité. Que de cet affrontement la science sort, en fait, déjà victorieuse, on ne peut qu'en convenir devant son accumulation calme et massive de savoirs positifs, ses hypothèses fécondes, ses exigences de rationalité. À dire vrai, on assiste de nos jours au pathétique acharnement de la philosophie à défendre un rang qu'elle a perdu et à refuser à la science, par épistémologie interposée, la possibilité même d'atteindre la réalité. Et, pendant que des pans entiers de sa réflexion traditionnelle lui échappent au profit de sa concurrente, elle s'enferme dans un langage abstrus et ampoulé, soi-disant hypercritique, d'où elle pontifie sur le subjectivisme, le nihilisme, le relativisme, le constructivisme et l'inconnaissabilité du réel. À continuer dans ce sens, elle ne pourra que sombrer de plus en plus dans un ridicule comique. Si elle veut se ressaisir, il faudra qu'elle cesse de se complaire dans une superbe néfaste et qu'elle se mette à l'écoute du savoir. C'est seulement de cette manière qu'elle pourra, à nouveaux frais, retrouver une légitimité dans l'ensemble de l'entreprise de la connaissance
Laurent-Michel Vacher (1944-2005) a enseigné la philosophie au collège Ahuntsic. Aux éditions Liber, il a notamment publié Histoire d’idées, Entretiens avec Mario Bunge, La science par ceux qui la font.