La question qui est à l'origine de cet ouvrage a été suscitée par le rapprochement de plus en plus patent depuis les années 1980 entre syndicat et management, ce qu'on présente souvent comme une forme de démocratisation du travail et d'émancipation collective des travailleurs. Si tel était le cas, le travail serait encore, comme il l'a été au dix-neuvième siècle, un lieu d'action sociale-politique et un espace de liberté. Or, la logique gestionnaire est incompatible avec cette représentation. Pour comprendre le sens contemporain du travail, il faut tirer au clair cette contradiction. À cette fin, et en s'arrêtant aux moments forts de l'histoire de l'institution en Angleterre, en France et aux États-Unis, Rolande Pinard retrace l'évolution du travail et de son organisation dans l'atelier, l'entreprise et la société. Sa reconstruction sociale-historique met en évidence que, depuis le tournant du vingtième siècle, le management a joué un rôle décisif comme organisateur des grandes corporations économiques particulièrement américaines. Le travail marchandise, propriété de l'ouvrier, est devenu l'emploi, lié à l'entreprise; l'activité productive concrète est devenue l'affaire du management (le taylorisme en étant la manifestation la plus connue); le mouvement ouvrier comme institution dans la société est devenu syndicat d'entreprise. Plus encore, des institutions politiques centrales ont été absorbées par la logique organisationnelle et les acteurs sociaux ont été graduellement enfermés dans des organisations, devenues entre-temps les véritables sujets dans la société. Ce n'est donc pas un hasard si les questionnements sur les transformations du sens du travail recoupent ceux sur le politique: l'organisation de la société selon le modèle managérial du travail paralyse en effet notre capacité d'agir comme sujets sociaux. Pour sauvegarder cette capacité d'agir et la liberté qu'elle suppose, pour rétablir le lien social rompu par le management et par la société organisée à son image, il est essentiel de poursuivre une critique radicale du travail. Première édition française: © Presses universitaires de Rennes, 2000
Rolande Pinard est sociologue. Elle a pratiqué la sociologie en milieu syndical pendant plusieurs années. Elle a publié de nombreux articles et rapports de recherche sur le devenir du travail.