
«Tant de choses nous échappent, non par accident, mais ontologiquement, à savoir compte tenu de leur nature et de la nôtre. Il y a des choses dont nous ne pouvons pas être conscients. Nous avons beau vouloir ouvrir notre esprit, il y a des limites à cette ouverture. C'est l'un des traits de notre finitude. La philosophie entretient une prétention à l'universalité. Elle tente de s'ouvrir le plus largement possible à la réalité telle qu'elle est. Ce faisant, elle doit être consciente de ses limites. Si elle s'ouvre, c'est aussi en se fermant. Si elle voit certaines choses, elle est aveugle à d'autres. Ces limites se font sentir avec force quand il s'agit de mettre en parole la vision. Celle-ci doit entrer dans la forme de celle-là, avec un sujet ou un substantif, un verbe ou une action, un prédicat ou un attribut. Une telle mise en forme élimine forcément un chaos, une indétermination ou un flou constitutifs de la réalité. Le défi est alors d'exprimer par la parole ce qui pourtant lui résiste, de manière à ce que continue de poindre et d'insister ce qui résiste.»
Pierre Bertrand a été professeur de philosophie à Montréal. Auteur d’une œuvre importante, il mène, dans une langue claire et sensible qui convoque art, littérature et philosophie, une réflexion minutieuse et patiente où il approfondit les thèmes de la vie et de la création.
Crédit photo: ©Alain Décarie